PÉRIGNAC : LÉGENDE D'ARKARA

Pour la première fois dans l’Histoire d’Arkara, les animaux, oiseaux et insectes se font offrir une mission importante par Dorgon : se mettre tous à la recherche des fleurs interdites. Peu importe où elles se trouvent que ce soit dans un champ, un potager personnel, une caverne, un sommet de montagne, un pot à fleur ou un bois, elles seront toutes détruites jusqu’aux racines. On voit alors un défilé d’abeilles s’introduire dans la grotte pour sentir le flacon brisé et repartir aussi rapidement. Des oiseaux et des animaux en font autant avant de se disperser dans la nature. Dorgon sait qu’il vient de trouver les meilleurs alliés pour éliminer à tout jamais la culture de cette fleur noire, tachée de rouge. Même si le canton d’Atlantis compte des centaines de cavernes, les insectes et les petits rongeurs vont tous les fouiller méticuleusement, centimètre par centimètre. Finalement, c’est dans un champ de trèfles noirs que les abeilles et les bourdons y découvrent quelques fleurs maudites dissimulées ici et là. Un ours se charge de les piétiner et une taupe creuse pour s’assurer de les déraciner complètement. D’autres fleurs se trouvent près du marais habité par les trois dragons verts. Des lièvres énervés s’empressent de les informer de la présence de ces fleurs du mal qui terminent ainsi leur floraison dès que les dragons les calcinent jusqu’aux racines. Il ne reste plus qu’un seul bouquet à détruire. Il se trouve sur la table du seigneur Alba qui ont été recouvertes de poudre rouge pour mieux les dissimuler parmi les fleurs de coquelicots. Mais les prudentes fourmis ne se laissent pas tromper pour autant et sonnent l’alerte. Alba sort en trombe de sa maison lorsqu’il voit une nuée d’oiseaux traverser sa large fenêtre et s’attaquer ensuite au bouquet. Alba tente de fuir en emportant un flacon de cette résine noire mais change d’avis dès qu’un troupeau de buffles vraiment décidés à détruire cette fiole le poursuit. Le contenant finit par être jeté par terre par le fugitif. Aussitôt, les bêtes piétinent tellement ce produit monstrueux que le sol a été véritablement labouré par leurs sabots et leurs cornes.

Un corbeau est juché sur le toit de la maison d’Alba et regarde d’un œil discret les buffles s’éloigner en se félicitant réciproquement pour ce travail si bien accompli. L’oiseau noir s’envole alors en direction de l’enclos du monstre et pénètre dans la caverne en passant par le puits de lumière situé au sommet de haute voûte de celle-ci. Il vient se poser rapidement sur la tête de son Maître et lui fait son rapport. Baa-Bouk rumine bientôt cette nouvelle qui risque de lui faire perdre la fidélité de Myotis. Cette maudite potion lui procurait l’occasion de se nourrir de chair puisque déjà six membres de la secte se sont sacrifiés en croyant plaire au monstre noir. À présent que la fleur Mudal n’existe plus, le fidèle mutant à cornes de bouc risque d’abandonner son Maître pour chercher plutôt à retourner sur son ancienne planète où il profitera de l’absence de Dorgon pour y prendre le pouvoir et rétablir au plus vite le règne carnivore. Baa-Bouk se demande sérieusement si Alba ne serait pas un meilleur candidat pour le représenter à la tête de la secte?

Alba est l’un des rares Paysans à posséder sa maison en dehors du village. Elle se trouve entre les vastes vergers communautaires et les vignobles. Il faut dire que personne ne s’est plaint de ne pas l’avoir comme voisin et sa demeure est assez éloignée pour que Myotis lui ordonne de lui prêter celle-ci pour un prochain sacrifice. Le seigneur fruitier lui fait remarquer qu’il ne possède plus de potion pour calmer l’angoisse de celui qui lui servira de brebis. Le mutant lui répond froidement qu’il devra faire semblant d’en avoir caché quelques fioles pour les cérémonies secrètes. En somme, il faudra que le sacrifié s’attende à ce calmant pour lui laisser l’illusion qu’il n’aura aucune conscience de ce qui lui arrive. Alba n’aime pas voir ce mutant se servir de sa demeure pour y satisfaire son goût pour la chair même s’il existe une cave secrète sous sa maison. Les événements des derniers jours le rendent très nerveux. Décidément, il aimerait bien ne plus avoir à dépendre de son ami puisqu’il se sent en mesure de diriger lui-même la destinée de la secte. Tout ce qu’il lui manque est une occasion pour obliger Myotis à lui céder son titre de Grand Serviteur de Baa-Bouk.

Des fidèles de la secte s’introduisent discrètement dans la maison du seigneur Alba et descendent directement à la cave où celui-ci a déjà préparé la table sur laquelle se trouvent deux gros cierges qui éclairent faiblement la pièce. Une roulette munie d’une aiguille est prête pour la cérémonie du sacrifice. Les dévots sortent une statuette noire qu’ils portent dans une poche attachée à leur taille et la dépose en silence sur la table. Alba place les figurines de manière à former un cercle autour de la roue du hasard. Il fait bientôt pivoter l’aiguille qui s’arrête devant l’une des statuettes. Son propriétaire avale difficilement sa salive en réalisant qu’il va être sacrifié. L’officiant coupe la tête de la statue pour faire comprendre au dévot qu’il est destiné à mourir. Il lui présente ensuite une fiole que le pauvre fidèle s’empresse de boire. Il ferme les yeux en tremblant de peur. Ses compagnons sont tout de même surpris de constater que l’effet de la drogue n’a pas encore agi sur le sacrifié. Mais déjà Alba demande à deux fidèles d’accompagner leur compagnon au fond de la pièce où l’attend le Grand Serviteur de Baa-Bouk. La victime résiste et veut sa drogue. Elle est traînée malgré elle dans ce coin maudit où Myotis s’en saisit en bavant terriblement. Un cri horrible fait frémir les fidèles qui réalisent soudain que leur compagnon est dévoré sans anesthésie. Bientôt Myotis sort de l’ombre la gueule souillée du sang de sa victime. Il déclare froidement qu’il éprouve plus de respect envers celui qui se trouve présentement dans son ventre que ceux qui n’ont pas encore prouvé leur fidélité envers Baa-Bouk. Les dévots sont effrayés et fuient malgré les ordres répétés d’Alba pour qu’ils reviennent reprendre leur place autour de la table bien que celui-ci sait toutefois que les fidèles n’oseront pas dénoncer Myotis. Contrairement à des esclaves qui peuvent toujours changer de maîtres en les trahissant, les dévots sont incapables de se libérer de leur envoûtement. Ils fuient ce soir mais n’échapperont pas longtemps à celui qui saura rassembler son troupeau de nouveau dès qu’il aura convaincu Myotis d’abandonner ces sacrifices humains. Alba lui fait comprendre que si les fidèles sont constamment terrifiés à l’idée de mourir dans les pires tourments, il y a de fortes probabilités que leur comportement inquiète les Grands-Prêtres qui tenteront de les aider à se calmer. Ils arriveront peut-être aussi à leur faire dire des choses qu’ils ne diraient pas normalement. Myotis réalise qu’il va finir pulvérisé par la terrible patte de Dorgon si celui-ci apprend qu’il a déjà dévoré sept Arkariens. Le mieux est de se faire oublier pour un certain temps et de laisser à son ami Alba le soin de s’occuper temporairement de la secte sans toutefois lui céder son titre de Grand Serviteur de Baa-Bouk. Un titre ne veut rien dire pour le seigneur fruitier. Ce qu’il veut, c’est le contrôle et n’a besoin que d’une chose : avoir le champ libre.

Des colombes volent un peu partout au-dessus du canton à la recherche des conteurs du pays qu’elles veulent guider jusqu’à la forêt enchantée où Manuel désire les rencontrer. Des conteurs, il y en a de toutes les sortes, des plus drôles aux plus tristes. Ils sont tous un peu farfelus et débordent d’imagination. Le plus souvent, ils improvisent des histoires selon les circonstances. L’un d’eux dit un jour à un jeune auditoire qu’il connaît un lapin qui n’aime pas les carottes et on se demande bien pourquoi? La fois suivante, ce même lapin aime à présent les carottes et on ne sait toujours pas pourquoi? Il questionne les enfants et les adultes qui tentent alors de résoudre cette énigme. C’est un jeune Paysan de sept ans qui lui répond que c’est le conteur qui ne se souvient plus de ce qu’il a raconté à un autre auditoire au sujet du lapin qui mange ou ne mange pas de carottes. L’autre lui mentionne qu’il possède tout ce qu’il faut pour devenir un excellent conteur. Ce petit Paysan dit s’appeler Gerbin et est le fils d’un père vigneron et d’une mère jardinière. Ses héros sont Finibus et Débunibus, deux compères inséparables. Ils sont charmants et même drôles dans leurs accoutrements. Ils portent une tunique rouge et se coiffent fièrement d’un bas du Père Noël en guise de bonnet. Leurs longues barbes blanches leur donnent un air respectable malgré tout. Les joyeux conteurs laissent volontiers les enfants dessiner sur leurs robes lorsque cela est possible. Car, avouons-le, Finibus et Débunibus sont si distraits qu’ils écrivent non seulement sur leurs manches ce qu’ils ne veulent pas oublier de raconter, mais souvent partout sur leurs vêtements. Les conteurs sont de véritables éducateurs ambulants qui parviennent à faire passer toutes sortes d’enseignements sous forme de messages plus ou moins équivoques et souvent très drôles sans que le peuple se sente obligé de les écouter. Ce sont les conteurs qui rassemblent les foules autour d’eux et non pas les Grands-Prêtres. Loin de jalouser leur popularité, les religieux comptent beaucoup sur leurs talents pour faire la classe aux enfants tout en jouant avec eux. La majorité de ces humoristes naturels sont des érudits ayant été formés par des Maîtres tels que Dorgon, Phardate, Adiech et Lemu. C’est pourquoi d’ailleurs que le jeune Maître du destin désire les rencontrer. Les conteurs se sentent vraiment honorés par une telle invitation. Ils se laissent guider par des colombes vers cette forêt enchantée. Une longue table est garnie de mets succulents et les meilleurs vins attendent ceux qui vont former bientôt cette grande « Fraternité des conteurs arkariens. » Manuel ne s’ennuie pas du tout en compagnie de ces esprits éveillés. Les conteurs s’amusent constamment à faire des jeux de mots et Manuel n’y échappe pas lorsque l’un des invités le remercie pour ce repas, véritable « manne annuelle » du destin.

Une grande mission attend les conteurs du pays car le Maître du destin a décidé d’empêcher la secte « Blanc et Noir » d’aliéner le peuple en l’encourageant à ridiculiser les Grands-Prêtres et leurs enseignements. Comme les conteurs sont appréciés par tous, il croit que leur rôle principal sera désormais d’éveiller les Paysans assez pour qu’ils sachent au moins se défendre contre l’endoctrinement et le fanatisme que les fidèles de la secte tentent d’inculquer aux jeunes et surtout les enfants. Plusieurs d’entre eux critiquent déjà leurs parents et les contestent de plus en plus sans respect. La liberté d’expression a toujours été de mise sur Arkara mais celle-ci ne doit pas être utilisée comme une arme pour ridiculiser publiquement ceux qui ne pensent pas comme ceux de la secte. Alba est un maître destructeur qui manie en coulisse les mensonges surtout sur les enfants plus malléables afin de détruire la crédibilité du Cœur royal et son royaume. Le maître fruitier encourage l’intolérance, le mépris envers les traditions et de ceux qui tentent de les protéger comme Adamas, le Grand Superviseur du canton. Ses fidèles profitent de toutes les occasions pour semer la division en critiquant Adamas, les religieux, la lenteur d’esprit des Connients, incluant les costumes ridicules de Finibus et Débunibus. Ce sont des agitateurs qui n’ont rien à offrir d’autre que des idées négatives qui germent malheureusement dans l’esprit des plus faibles et des naïfs qui croient ainsi s’associer aux plus intelligents. Ils croient à tort, qu’il suffit de répéter ces accusations pour paraître plus dégourdis. Mais depuis que les conteurs prennent l’habitude de se mêler à la foule, on assiste à des jeux de répliques qui font rire l’auditoire. Ils possèdent tout ce qu’il faut pour débouter ceux qui n’ont rien à enseigner mise à part cette manie de répandre le fiel de leurs paroles. Ceux-ci d’ailleurs deviennent de moins en moins éloquents depuis qu’ils savent que les conteurs assistent à leurs discours. Les conteurs sont des « éveilleurs » qui trouvent toujours une histoire, un conte, une légende, une parabole ou un dicton pour mettre en garde le peuple contre ceux qui veulent uniquement le pouvoir. Ils savent aussi alléger le choc des confrontations en faisant les clowns car ils savent manier la vérité par les jeux de mots légers mais tellement justes que tout peut être vérifier.

L’excellent travail des conteurs du pays oblige la secte secrète à se montrer beaucoup plus discrète si elle ne veut pas perdre tout crédit face à un peuple qui possède à présent ses défenseurs contre la mauvaise influence de la secte. Le Maître du destin réunit à nouveau les conteurs autour de la grande table de la Fraternité. On y mange, discute, boit, et on y rit beaucoup en travaillant à préparer le plan initial de Manuel qui consiste à apprivoiser progressivement les Paysans à l’idée qu’ils se mentent à eux-mêmes en s’imaginant être des immortels. Leurs corps seraient déjà en décomposition depuis bien des années si le Cœur royal ne les empêchait pas de mourir. Le Souverain les aime trop pour laisser faire la Nature. Il guérit les maladies, s’assure que personne ne souffre de froid ou de chaleur accablante. En fait, le peuple est couvé par un Roi candide qui prend soin de son peuple comme un œuf. Bien sûr, c’est bien joli un œuf sauf que la poule devra bien accepter un jour ou l’autre de laisser sortir le poussin. Les Grands-Prêtres font ce qu’ils peuvent pour faire comprendre cela au joli Cœur fantastique au cours de rituels où ils peuvent entrer en communication avec lui. Mais l’enfant souverain répond à chaque fois que son frère Manuel efface pour lui les mots qu’il lui demande de faire disparaître dans son livre magique. Il l’a fait pour: mort, maladie, douleur et sommeil. De son côté, le Maître du destin sait qu’il ne pourra indéfiniment satisfaire les caprices de son frère. Chronos a déjà adressé une humble demande à la Mère Lumière pour qu’elle raisonne son enfant. Évidemment, c’est Manuel qu’il pointe du doigt et non le Cœur royal car même s’il est le Maître du destin, il doit respecter les lois de la Nature. D’ailleurs, il a déjà avoué aux conteurs qu’il s’attend à devoir passer par-dessus les caprices de son frérot lorsque Chronos viendra exiger des comptes. Alors, il ne veut pas que les Paysans subissent un choc trop brutal lorsque la réalité s’imposera à eux et qu’ils devront quitter leurs illusions. Les conteurs auront à faire preuve de beaucoup d’imagination et surtout de subtilité pour nourrir leur auditoire avec des contes qui parlent justement des lois de la Nature. L’important, ce n’est pas de démolir l’idée que la mort est un mythe, mais de les protéger face à la réalité brutale d’une soudaine désillusion.

Manuel désire offrir deux précieux présents aux conteurs. Le premier est une boîte remplie de petites pierres cristallines qui contiennent en mémoire des centaines d’histoires. Finibus et Débunibus sont les premiers à trouver tout à fait original l’idée de transporter une véritable bibliothèque ambulante dans un tout petit coffret. Ensuite, leurs confrères sont amusés de voir approcher un cortège de grosses tortues. Manuel leur explique que ces mammifères sont très intelligents et ne laisseront monter sur leurs dos que les conteurs. Les énormes tortues marines portent le joli nom de « Esag. » Elles sont originaires de la planète Terre et non de la rivière Eméraudia comme le croient les Paysans. Les conteurs savent déjà beaucoup de choses sur Primus Tasal et sur le monde des Terriens. Avant de quitter le Maître du destin, celui-ci les a prévenu qu’il n’a pas essayé de s’ingérer dans l’une des lois de la Nature qui veut qu’une tortue marine se sente naturellement attirée par tous les cours d’eau qu’elle retrouve sur son chemin. Il n’en dit pas davantage et donne rendez-vous à ses joyeux missionnaires dans exactement un an. Les conteurs sont très heureux de découvrir que voyager sur le dos d’une tortue est amusant et surtout de découvrir qu’elle trotte aussi vite qu’un bon marcheur. Cependant, l’un des cavaliers comprend vite ce que voulait dire Manuel lorsqu’il parlait de cette attirance pour l’eau lorsque le gros mammifère passe justement près d’un étang. Il saute dans son élément naturel sans avertissement et le conteur en est quitte pour une bonne baignade.

Après le départ des conteurs, Manuel invite Phardate à venir le rencontrer. Il lui montre alors un chêne lumineux qu’il vient de créer. Le croucounain le trouve vraiment superbe et surtout fort étrange avec ses milliers de feuilles sur lesquelles sont gravés des noms en lettres d’or. C’est l’arbre « Salutor », le chêne des Entités. Le jeune Maître du destin explique son geste en disant qu’il va établir un petit culte où chaque Paysan devra cultiver une fleur de cristal et l’offrir une fois l’an au Souverain, dans l’unique but de lui prouver sa reconnaissance pendant une fête annuelle. Le rituel fera en sorte que chacun prenne conscience que tout ce qu’il possède en biens lui vient de la générosité du Cœur fantastique et que la principale leçon à comprendre dans tout cela est cette caractéristique du Souverain. Il donne tout et les Paysans semblent l’oublier trop souvent c’est pour cela que ce culte va permettre à chacun de prendre l’habitude de poser un geste quotidien en remerciant le Cœur de ses bienfaits et arrosera sa fleur en l’aimant comme soi-même. Le jeune Maître ajoute ironiquement que la graine que chaque Paysan va planter est vraiment lui-même puisqu’il sèmera sa propre Entité. Phardate peut imaginer le bonheur qu’éprouvera le Souverain lorsqu’il recevra des bouquets de fleurs dont l’odeur lui permettra de reconnaître tous les Paysans qu’il a fait naître dans son royaume. Toutefois, il se peut que certains négligent leur fleur unique et qu’elle se fane avant d’être cueillie le jour où se tiendra la grande fête annuelle. Malheureusement, celui qui ne pourra offrir sa fleur ce jour-là se verra interdire l’accès à la fête et devra même quitter le pays. Pour la première fois de sa vie, Phardate trouve que le jeune Maître est très sévère. Manuel devine ses pensées et lui répond que ce n’est pas lui qu’il faudra accuser si cela arrive, mais plutôt celui qui a effacé lui-même son nom du grand livre magique en laissant faner sa fleur. On ne peut remplacer une fleur unique et encore moins redonner à celui qui la perd une nouvelle graine car elle est unique. La logique est là qu’on le veuille ou non : une fleur vient d’une graine et lorsqu’elle a atteint sa maturité, elle disparaît en laissant une nouvelle graine qui va de nouveau donner une autre fleur et ainsi de suite. Mais comment pourrait-on faire pousser une autre fleur identique à la première si un inconscient a laissé faner sa fleur? On ne peut tout de même pas lui offrir une autre graine qui n’est pas sa propre Entité. Celle-ci ne disparaîtra pas de la Création, mais uniquement du corps d’un Paysan négligent. Il peut continuer à vivre physiquement sauf que son âme ne vivra plus en lui mais ailleurs. Manuel invite le nain à examiner de plus près l’arbre Salutor. Il lui explique que les noms gravés sur les feuilles ne sont pas des Entités comme telles, mais plutôt leurs empreintes et leurs odeurs vraiment personnelles et uniques dans tout l’Univers. Peu importe où la véritable Entité se trouve, elle pourra toujours revenir sur Arkara et reprendre sa place dans le corps d’un Paysan le jour où elle aura compris pourquoi elle ne s’est pas préoccupé d’arroser sa fleur lorsqu’elle vivait dans le corps de celui qui a laissé faner sa fleur de cristal. L’arbre conservera une partie de son essence et laissera ainsi au fond de cette âme fautive le mal du pays. Phardate demande alors quand faudra-t-il aviser les Paysans qu’ils risquent la déportation s’ils négligent d’arroser leur fleur avec amour? Le jeune Maître lui demande s’il va falloir constamment protéger les inconscients ou leur permettre de progresser? Qu’ils vivent ailleurs n’a rien de punitif. C’est une expérience qui leur permettra de faire une prise de conscience qui les amèneront difficilement vers l’accomplissement de leur Entité. Le Cœur royal tient le peuple par la main mais celui-ci devient de plus en plus égoïste et inconscient. Alors, il faut les amener à choisir entre la lumière ou l’ombre. Il faut à présent que les âmes arkariennes apprennent également à marcher seules même si parfois l’école de la Vie est loin d’être sereine comme sur Arkara. Il précise à son ami Phardate que chaque jour, beaucoup de couples viennent lui demander de pratiquer le rituel de la naissance et qu’ils sont témoins du prodige. Par conséquent, les Paysans sont à même de comprendre que le corps vivant de leur enfant est habité par une Entité. Ce rituel aurait dû éveiller leur conscience mais ceux-ci ne tiennent pas compte que ce qui a un début a aussi une fin. Ils continuent toujours de mettre autant d’emphase sur leur longévité plutôt que de porter attention et assumer la responsabilité de l’évolution de leur Entité. Seront-ils plus motivés à s’occuper de leur fleur unique, seul l’avenir le dira!

Un immense vaisseau demeure stationnaire au-dessus du canton d’Atlantis. C’est la première fois de leur vie que les habitants voient le navire géant du Maître du destin. Il possède l’apparence d’une couronne ornée de sept perles gigantesques qui scintillent en alternance pour créer l’effet d’un néon circulaire de toute beauté. La coque du navire est transparente de sorte que les témoins voient parfaitement le jeune Maître adolescent assis sur un trône en tenant un immense livre doré sur ses genoux. Debout près de lui, son émissaire tient une poche si brillante qu’elle semble y enfermer des milliers de petites étoiles. La voix du Maître se fait entendre partout dans le canton et demande aux Paysans de se rassembler dans un immense champ situé près du village des Connients qui porte le nom évocateur de « jardin des coquelicots » puisque c’est là que reposent les corps des deux cent géants massacrés jadis par le monstre Baa-Bouk. Il est recouvert de coquelicots géants. Peu de temps avant l’arrivée des Paysans, les Connients cueillent toutes les fleurs et vont les déposer devant la tour en or. Ils font cela régulièrement depuis de nombreuses années. C’est pour cette raison que le Maître du destin n’oblige pas les Connients à pratiquer un autre rituel pour se montrer reconnaissants envers leur Souverain. Ils le font de façon spontanée depuis toujours. Dès que les Paysans sont rassemblés, Phardate ouvre la poche lumineuse et largue les graines de cristal qui tourbillonnent un moment dans les airs et vont se déposer d’elles-mêmes dans la main ouverte de leurs propriétaires respectifs. Les Paysans sont fascinés par ces pépites cristallines et courent les semer rapidement dans leur jardin familial. Ils savent qu’ils doivent arroser leur fleur unique à chaque matin en remerciant le Cœur royal de ses bienfaits. Les Connients aimeraient bien eux aussi, avoir à cultiver une fleur aussi belle qu’ils pourraient cueillir eux aussi le jour de la grande fête. Alors, le Cœur royal leur joue donc un tour amusant en faisant pousser dans leur village une fleur tellement élastique que nos pauvres géants sont incapables de la déraciner malgré leur force. Inspiré, un enfant candide et imaginatif s’amuse alors à planter des gommes à bulles dans son potager. À sa grande surprise et celle des villageois qui ne manquent pas de le taquiner, on voit bientôt apparaître des fleurs qui peuvent se mâcher au grand plaisir de tous les Connients.

Une paysanne cherche son époux et s’informe auprès de certains voisins qui le connaissent bien car ils se tiennent souvent ensembles. Ceux-ci affirment avoir justement discuté avec lui quelques heures auparavant. La pauvre épouse s’en retourne en s’imaginant que son conjoint ne tient plus à vivre avec elle. Il faut savoir que le mariage n’existe pas comme tel pour les Paysans puisqu’ils n’ont aucune relation sexuelle. Cela ne veut pas dire qu’ils n’ont pas tout ce qu’il faut pour faire l’amour physique, mais simplement qu’ils n’éprouvent aucun désir charnel. Par conséquent, il est inutile d’instituer une loi pour inciter ceux-ci à la fidélité conjugale car un couple choisit de vivre ensemble par affection et surtout pour offrir à un enfant l’amour parental. Mais ce n’est pas le cas de cette pauvre Paysanne qui ne peut invoquer ce motif puisqu’ils n’ont pas encore d’enfant. Elle est triste et surtout très loin de s’imaginer que son partenaire puisse justement être ce fidèle qui a été dévoré par Myotis. D’autres épouses ont également recherché leur conjoint pour la même raison mais à chaque fois, les adeptes de la secte ont donné de fausses informations pour éviter que ces délaissées n’attirent l’attention en rapportant la disparition de leur conjoint aux Grands-Prêtres.

Depuis qu’il s’est vu retirer le commandement de la secte, Myotis a complètement changé son attitude envers Dorgon. Son humeur belliqueuse d’antan semble s’être soudainement calmée mais ses congénères se doutent qu’il y a anguille sous roche et encore une autre de ses stratégies hypocrites pour essayer de gagner leur confiance. Alors, afin d’en savoir plus, Polar et Bylis font semblant de jouer le jeu. Tout de même, ils apprécient de voir Myotis cultiver son jardin au lieu de passer son temps à leur taper sur les nerfs. Chose surprenante, leur confrère s’est même mis à peindre des fleurs. Là encore, son talent a de quoi surprendre. Pourtant, il s’arrange pour déranger ses compagnons en exposant ses toiles sur les meubles de l’unique pièce où il y vit avec ses confrères. Il a même dressé son chevalet dans le coin préféré de Polar qui n’arrive plus à s’asseoir en paix. Agacé, celui-ci réagit en suggérant à Myotis d’aller peindre à l’extérieur. Bylis s’en mêle en l’accusant à son tour de vouloir décourager l’artiste qui vient de se découvrir un nouveau talent. Ils finissent par s’entendre donc pour vider une petite grotte où s’y entasse une foule de chaises et tables qu’ils n’ont jamais réparées, et règlent leur sort en les brûlant tout simplement. Myotis vient d’obtenir son atelier et c’est ce qu’il espérait. À présent, il pourra se permettre de confectionner un voile en trèfles noirs assez grand pour recouvrir entièrement la tête de Baa-Bouk. Il lui faudra une éternité pour le réaliser ainsi en secret, puisqu’il ne cueille que quelques fleurs par jour et les cache à mesure, dans son vêtement. Une fois dans sa grotte, il les fait sécher entre deux grosses pierres et les colle ensuite sur un grand morceau de tissu blanc. Il découpe ensuite une autre pièce d’étoffe de la même grandeur et assemble les deux morceaux. Personne ne pourra alors deviner la présence de ces plantes à l’intérieur de ce montage improvisé. Les tableaux s’accumuleront dans la grotte au fil des ans. Ainsi, lorsque le moment sera venu de réaliser le voile noir, il n’aura plus qu’à joindre ensembles les morceaux sur lesquels sont collés les trèfles noirs. Le mutant sait toutefois qu’il ne peut se permettre d’échouer dans sa tentative de libérer Baa-Bouk. En cas d’échec, Dorgon ne lui laissera plus jamais l’occasion de nuire à personne. Cette réflexion l’amène à songer déjà à quitter rapidement la planète en s’emparant du vaisseau contrôleur de Dorgon. Le problème, c’est qu’il ignore encore comment il arrivera à réaliser ce tour de force.

Déjà quelques six milles ans se sont écoulés depuis la fondation de l’Ordre des Grands-Prêtres. Adiech a quitté son corps physique pour devenir lumineux comme les Grands-Maîtres du Mont Bellapar mais contrairement à ceux-ci qui se transforment en glaçons, Manuel a demandé au Grand-Maître Adiech de créer une vallée paisible pour y accueillir un dragon qui porte à son cou la plus belle fleur de l’univers. Grâce à celle-ci, l’ancien fondateur de l’Ordre des Grands-Prêtres pourra entrer en contact avec la Mère Lumière qui dirigera son inspiration afin d’écrire un livre sur l’art de développer l’éveil de la conscience. Il s’agit d’un état d’esprit qui ouvre toutes les portes des grands mystères de l’origine du Monde. C’est un pouvoir à la fois merveilleux et terrible si l’utilisateur se montre de mauvaise foi. Du fait qu’il pourra dès lors comprendre comment l’étincelle se crée dans l’origine de toute chose, il lui sera possible d’en apprendre énormément sur la nature d’Absou et du feu originel. Il n’y a que la Mère Lumière qui puisse enseigner ces choses secrètes à Adiech mais celui-ci aura d’abord à créer une vallée invisible comme la forêt enchantée. Ce n’est que dans l’accomplissement d’un tel exploit que Manuel saura avec certitude si ce Maître possède suffisamment d’énergie pour y parvenir. S’il réussit, il démontrera être assez mûr pour devenir l’élève de la plus puissante reine de l’Univers. Adiech parvint non seulement à faire apparaître une vallée magnifique, mais la Nature y chante également harmonieusement. Les pierres, les arbres, les fleurs et les cours d’eau vibrent tous en accord avec les arcs-en-ciel et les nuages. Le Maître a même songé à créer une immense grotte pour y loger confortablement ce dragon qui ne tardera pas à venir s’y établir bientôt. Pendant sa randonnée, il aperçoit un immense livre ouvert qui semble être déposé sur un lutrin invisible. Il voit aussi une clef en étain collée sur la page de gauche et une autre en or sur sa voisine de droite. Le Maître n’hésite pas à la toucher et celle-ci atterrit alors dans sa main. Il se retourne et se dirige lentement vers la grotte où le dragon vient de s’y introduire. Adiech n’a pas peur de cette bête dont l’apparence est unique car elle possède une tête de lézard, un corps d’araignée et une queue de scorpion. Avec de tels attributs, qui oserait prétendre qu’elle n’est pas la protectrice de la fleur Filfaloso? Son regard est cependant attiré par le collier du dragon qui possède une serrure. Le Maître place aussitôt sa clef dorée devant le visage du monstre et la bête se prosterne devant lui pour lui permettre de lui retirer temporairement la garde de la rose fantastique. Adiech place doucement la jolie fleur sur son cœur et entre alors dans le jardin privé de la Mère Lumière. Cette dernière lui annonce qu’il va devenir ce Grand-Maître de la Conscience éveillée, et qu’il aura ensuite pour mission de se servir de ses pouvoirs accrus pour guider les Initiés dans leur cheminement spirituel. Elle lui demande ensuite, d’emporter avec lui, la jolie fontaine de son jardin privé. Ce cadeau donné est exceptionnel. Il est donc indispensable pour son élève, de la placer dans un endroit secret et éviter que l’eau de celle-ci se souille au contact de l’air extérieur. Par conséquent, il ne peut la déposer que dans les entrailles de la planète pour qu’elle puisse couler sans risquer de perdre sa valeur curative, puisque celui qui boira de cette eau pure verra sa vie se prolonger indéfiniment. Adiech décide de créer, en ivoire, un escalier en forme de spirale qui permettra d’atteindre le centre d’Arkara. Le Maître s’est dit qu’un escalier en ivoire est idéal pour « y voir » la fontaine lumineuse. Elle est aussi brillante que la rose Filfaloso, et éclaire les profondeurs de la planète comme la lumière du jour.

Le Maître de la Conscience fait ensuite apparaître un volcan éteint au-dessus de l’escalier secret pour en dissimuler la présence. Il se dit que personne ne songera à rechercher dans un immense cratère, l’existence d’une fontaine miraculeuse. Il songe également aux futurs Initiés qu’il invitera à venir boire de cette eau magique. Il sait qu’il est essentiel pour eux, de les laisser cheminer un bon moment dans le monde extérieur avant de les autoriser à vivre cet instant crucial car cette fontaine risque de tellement les fasciner par sa beauté, qu’ils pourraient s’y méprendre et la comparer à une statue ordinaire. Il leur faudra donc beaucoup de maturité que seul un amalgame d’intelligence, de courage et d’humilité bien dosés arrivent, avec beaucoup de patience, à dégager une perception réaliste qui permet enfin à l’Initié, de comprendre la différence entre les valeurs du monde extérieur et celles du monde intérieur. L’histoire est également très riche en enseignements pour celui qui songe également à entreprendre ce long voyage vers l’accomplissement sans tomber dans le piège d’avoir à se sécuriser d’illusions qui risquent de brouiller la vue et empêcher de développer la conscience qui permet d’accéder aux connaissances sans sombrer dans la folie. C’est pour cela qu’il a créé au sommet du cratère un petit observatoire où l’Initié peut voir toute l’histoire du monde arkarien depuis l’époque des Luminatisiens jusqu’à maintenant. Il va voir, analyser, comprendre et finalement sentir profondément et exactement si quelqu’un dit vrai ou s’il ment lorsqu’il parle des événements passés. C’est tellement facile de tomber dans le jugement pour se rassurer et ainsi, donner tous les défauts aux uns et accorder toutes les qualités aux autres. Le Maître de la Conscience juge essentiel d’avoir un tel observatoire pour démontrer que même les Maîtres font des erreurs de parcours. Il faut que l’Initié voit un Dorgon pulvériser un lièvre sans aucune raison justifiable, un Primus Tasal voler une fleur qui va lui faire vivre un terrible remord de conscience lorsqu’il réalisera que la moitié de l’Humanité meurt par le Déluge suite à son imprudence. Il doit voir aussi, les Luminatisiens envoyer un monstre sur une planète sans avoir vérifié si celle-ci était habitée. Il faut finalement apercevoir ces pauvres Connients se faire massacrer et pourquoi pas, regarder Myotis dévorer des fidèles. Il peut imaginer l’Initié passer par toutes les phases de la joie et de la colère sans se réfugier dans le jugement. Cette épreuve est cruciale surtout lorsqu’il verra le Cœur royal inciter même son frère à effacer dans son livre magique, les mots qu’il n’aime pas. À vrai dire, il serait parfois préférable de ne pas savoir la vérité sur chaque chose, puisque celui qui sait sans entretenir d’illusions quelconques, souffre de « connaître » toutes ces choses qu’il n’a pas le droit de révéler; cette association des mots « con » et « naître » le fait sourire, car il ne peut que constater que tout être naît « con » et le demeure sans la compréhension des lois du monde intérieur!

Le temps passe et Alba est devenu le père d’un fils plein de talents et semble avoir hérité du côté fantasque et prétentieux de son paternel. N’est-il pas après tout l’enfant du Grand-Administrateur des vergers et vignobles d’Atlantis ? Byblos est sculpteur. Les Paysans sont obligés d’admettre que l’immense buste de son père Alba qu’il a fait est vraiment remarquable et surtout bien placé en évidence sur un piédestal devant la grande demeure du seigneur fruitier. Byblos déteste pourtant les jolies étoiles depuis que la sienne est constamment ridiculisée par les enfants qui lui demandent toujours pourquoi celle-ci est en deux morceaux ? En effet, son étoile est divisée, ce qui pourrait laisser supposer que son propriétaire possède une nature divisionnaire. Aussi, ce jeune adolescent inquiète les Grands-Prêtres qui voient dans ce signe céleste le début d’un peuple qui sera divisé dans un proche avenir. Même la couleur du ciel a perdu son beau vert pommette au fil des ans et rougit lentement. Les religieux savent que toutes les pommes rougissent avant de tomber. Ils y voient l’image parfaite qui indiquerait que cette planète est rendue à l’automne de son existence. Alba sourit à chaque fois qu’il examine l’étoile de son fils. Il a toujours aimé essayer de diviser le peuple, sauf qu’à présent, il a la prescience que ce sera Byblos qui parviendra à créer une véritable division dans le royaume du Cœur royal. Il ignore encore comment cela se fera, sauf qu’il en a la certitude.

Adiech apparaît régulièrement à ses confrères depuis qu’il vit dans sa vallée musicale. Il enseigne alors une foule de choses aux Grands-Prêtres, mais un jour il demande à Lemu de le remplacer à la tête de l’Ordre. Personne n’est surpris de cette nomination car Lemu est reconnu non seulement comme un sage et un pacificateur, mais sa réputation de rassembleur ne date pas d’hier. Il faut dire que les conteurs du pays font un excellent travail comme éducateurs. Les Paysans ont l’intuition à présent qu’ils ne sont pas immortels, mais extérieurement, ils s’entêtent toujours à prétendre le contraire. Ils sont beaucoup plus réceptifs aux enseignements des Grands-Prêtres dont le mouvement prend même de l’expansion. Lemu doit admettre pourtant qu’il n’arrive pas à visiter aussi souvent qu’il le souhaiterait ses Connients depuis que ses lourdes tâches l’obligent à demeurer auprès de ses confrères. Il demande alors à l’un de ses élèves qui connaît déjà les mœurs et coutumes des Géants, s’il accepterait de devenir le nouveau contremaître de la carrière de pierres cactus. Contrairement à Lemu qui aimait bercer les jeunes enfants, Gerbin lui, s’amuse à leur raconter des histoires. Depuis qu’il a résolu l’énigme du lapin qui aime ou n’aime pas les carottes, il s’est vite fait accepter par tous les conteurs du pays. Il les connaît tous depuis sa prime enfance. Il y a bien sûr, les deux célèbres Finibus et Débunibus véritables héros de son enfance. Mais d’autres ont aussi mérité son admiration tels que Bedondus, Ricanus, Petibus, Néronbus, Barbobus et tous leurs confrères dont les noms finissent toujours en « US. » Phonétiquement, ils se prononcent « USSE ». Cela est une règle dans cette Fraternité d’adopter un pseudonyme dès que l’on en devient membre. Gerbin n’est pas encore officiellement admis dans le cercle des conteurs bien qu’il soit un excellent fabuliste très doué pour imaginer des paraboles. Il aime surtout utiliser des symboles pour expliquer certaines choses aux enfants. Les Connients, eux, l’apprécient énormément et le traitent exactement comme un membre de la famille. Il faut dire que ce jeune contremaître défend encore plus farouchement les intérêts des Géants que les Connients eux-mêmes. Gerbin est prompt et d’une telle curiosité qu’il veut tout voir et tout comprendre. Il connaît déjà les mœurs des Connients, des Djinardiens, des Mutants et des Luminatisiens. Il pose d’innombrables questions aux animaux et aux insectes également. Il a eu comme Maîtres non seulement Lemu, mais Adiech aussi. Celui-ci lui apparaît parfois et lui parle de son Entité puisque celle-ci est vraiment particulière. Elle est double comme les âmes qui possèdent cette nature de vivre constamment entre l’ombre et la lumière. Elles appartiennent normalement à des êtres qui recherchent constamment où se cache la vérité dans le mensonge, et piègent celui-ci dans une pseudo vérité. Ces Entités sont semblables à des papillons qui sont diurnes et nocturnes en même temps. Elles ne peuvent vivre qu’entre deux choses : elles sont attirées par la lumière pour ce qu’elle montre, et par la noirceur pour ce qu’elle cache. Gerbin est semblable au papillon qui bat des ailes en sachant que celle de gauche est noire, et celle de droite est blanche Pour lui, c’est impossible de voler avec une seule aile. Par conséquent, sa conception du Monde tient toujours compte des oppositions même s’il est plus facile de rêver à un ciel sans nuages. Le fanatisme et l’indifférence lui font aussi mal que la prétention de ceux qui se disent plus évolués que les Connients. Le Maître Adiech ne s’est pas trompé en lui disant qu’il était un Paysan de naissance et un Connient de nature. C’est sans doute pour cela que Lemu l’a choisi pour ce poste car il ne tient pas à ce qu’on exploite les pacifiques Connients et Gerbin est digne de confiance.

Le Maître du temps est en colère lorsqu’il remarque que les habitants de son royaume temporel vivent déjà depuis six mille cinq cents ans. C’est inimaginable et il considère surtout ça comme inacceptable. Il retourne voir le jeune Maître du destin pour l’aviser qu’il va lui-même mettre un terme à la vie des Paysans s’il ne tourne pas la fichue page de son livre fantastique. Il se calme et lui explique ensuite, qu’il se doit d’être juste envers toutes les créatures mortelles. Que diront les Terriens s’ils apprennent un jour, que des habitants vivant ailleurs ne meurent pas? Il ajoute que les conteurs n’aident pas la situation en prétendant que les Paysans vivent depuis soixante-cinq millions d’années! Pourquoi pas des milliards tant qu’à y être? Manuel lui répond que les conteurs ne font que soulever l’idée que cela fait très, mais très longtemps. Sur ce point, Chronos est d’accord. Cela fait même trop longtemps à son goût. Selon lui, une page de livre aussi longue soit-elle. est insuffisante pour comprendre un livre, surtout s’il s’agit du livre de la Vie. Par conséquent, il le somme de tourner cette page avant son retour cette fois, en compagnie de son armée de calamités. Soit que Manuel choisisse de mettre lui-même un terme à la vie des Paysans ou ce seront les calamités qui le feront. Avant de quitter le jeune Maître, Chronos lui fait remarquer que de toutes façons, cette page est devenue tellement jaunie et barbouillée qu’il serait grand temps d’en choisir une autre pour continuer l’histoire d’Arkara.

Après le départ du Maître temporel, une petite voix craintive demande à son frère s’il va faire du mal à son peuple? Manuel est songeur et répond au Cœur royal qu’il n’a pas l’intention de s’en laisser imposer par le Maître du temps qui veut faire tourner cette page par jalousie de voir Arkara gouvernée par un Olympus. De toutes manières, il semble improbable que lui, un Immortel, tourne une page qui risque, elle-même de le devenir, et échapper ainsi pour toujours, à celui qui ne gouverne pas le monde intemporel, mais temporel. Manuel ne peut tourner lui-même cette page sans être accusé ensuite d’avoir voulu tromper Chronos. Par contre, si son jeune frère la tourne accidentellement, il faudra bien que le Maître du temps s’en prenne plutôt à la fatalité. Lorsque le Maître est préoccupé, la jolie fée Marianne le devine et vient lui tenir compagnie. Elle sait très bien que Manuel veut faire tourner la page par son petit frère Perlin. Elle comprend surtout que cet enfant va éprouver un tel sentiment de culpabilité en apprenant que son geste vient de mettre un point final à la longévité des Paysans qu’elle demande elle-même de lui éviter ces tourments en lui faisant perdre la mémoire. Il devra quitter la forêt enchantée dont il n’aura désormais plus aucun souvenir. De plus, il faut que Perlin s’accomplisse même s’il est un Olympus, c’est-à-dire un Immortel. Il ne pourra jamais retourner dans son univers intemporel s’il ne retrouve pas la nature qu’il possédait avant de chuter en dehors de l’intemporel. En effet, sa Mère Lumière possédait un collier de perles fantastiques dont l’une d’elles renfermait l’essence de Perlin. Malheureusement le collier se défit accidentellement et la perle tomba au fond de l’océan de la Création. Cette eau temporelle s’est mêlée à l’essence de Perlin, de sorte qu’il est devenu à moitié originaire du monde intemporel et la moitié du monde temporel. Il pourra retrouver sa vraie nature s’il perd l’empreinte de cette eau temporelle dans ses veines. Il n’y a que la fée Marianne qui puisse accomplir un tel prodige puisqu’elle est la fée des eaux pures. C’est pour cela qu’elle veille sur Perlin en attendant de pouvoir lui redonner sa place parmi les enfants de la Mère Lumière.

Lorsque la fée retourne auprès du bambin, elle sourit en découvrant celui-ci installé au sommet d’un arbre en compagnie d’un singe qui la salue en disant « Bonjour à toi, qui que tu sois! » Ce sacré Primus Tasal a trouvé une manière d’entrer dans la forêt enchantée. Il explique à Marianne que le bambin voulait qu’il lui montre à monter dans un arbre habilement mais lui avoue que son jeune élève s’y est pris drôlement bien. La fée examine d’un air amusé la bille magique qui tourne lentement autour de l’arbre grâce à une colonie de scarabées d’or. Ils ont gentiment accepté de remplacer Primus pendant qu’il montrait à Perlin l’art de faire le singe. Son complice sait que la fée est triste et continue d’amuser le bambin en se disant que c’est la dernière fois que celui-ci va jouer dans cette jolie forêt enchantée. Primus est loin d’être un étranger pour Manuel et Marianne et n’est pas là par hasard. Marianne voudrait à cet instant laisser parler son cœur de mère en refusant de mentir au bambin. Mais son devoir de fée l’oblige à demander à Perlin d’aller voir son frère qui a dessiné un joli dessin pour lui dans son gros livre. L’enfant s’empresse de descendre de l’arbre et marche joyeusement vers le piège que vient de lui tendre Manuel. Primus Tasal regarde la fée en pleurant comme celle-ci et lui prend les mains. À son arrivée, Perlin est surpris de ne pas voir son frère devant le gros livre qu’il ne quitte normalement jamais des yeux. Le bambin se demande surtout pourquoi le joli dessin ne se trouve pas sur la page du livre tel que promis et tourne donc celle-ci naïvement pour réaliser finalement que l’autre page aussi est blanche. Une main fraternelle se pose alors sur ses frêles épaules. Manuel se sent obligé de lui avouer qu’il lui a menti et lui en explique les raisons. Mais Perlin ne retient de cela qu’une seule chose : il a provoqué la fin du monde. Il retourne se jeter dans les bras de sa nourrice en pleurant à chaudes larmes. Le jeune Maître du destin est ému par les sanglots de son petit frère, mais il doit à présent en finir avec ce Chronos qui ne tardera à revenir. Il retourne cette page immortelle pour revenir à celle qu’il veut pouvoir copier sur la nouvelle. Il place ses deux mains sur les écritures qui disparaissent en grande partie. Il revient à la nouvelle page et replace ses mains sur celle-ci. Il sourit en réalisant que cette dernière est conforme à la précédente mise à part un tout petit texte qui représente les événements qui devront s’accomplir avant la fin du monde. Il transpose ainsi sur cette nouvelle page immortelle, la copie exacte de tout ce qui se trouvait sur l’autre. À présent, même si Arkara disparaît du monde temporel, elle existera toujours dans une dimension intemporelle ou Chronos n’y possède aucune autorité. Le jeune Maître ferme ensuite le poing et imagine sa planète avec ses habitants. Puis il ouvre la main et regarde d’un air satisfait une toute petite pierre à peine plus grosse qu’un œuf de colibri. Dans celle-ci se trouve pour ainsi dire, une Arkara en miniature. Lorsque le temps sera venu de changer de planète, cette pierre précieuse deviendra la graine magique d’un monde identique pour les Arkariens. Mais en attendant, il faut que les événements conduisent progressivement le peuple à accepter justement ce changement de niveau puisqu’il ne vivra plus dans la même dimension.

Deux Grands-Prêtres attendent au bout d’un sentier qu’apparaissent le petit Perlin et sa nourrice. Lorsque le bambin se fait présenter une fiole contenant une drogue qui va le rendre amnésique, il la boit courageusement. Il est si triste qu’il ne veut même pas embrasser la fée qui se cache les yeux pour masquer ses larmes. Un religieux aide Perlin à s’asseoir sur l’herbe en disant à Marianne que l’effet ne devrait pas tarder. Il a raison puisque le bambin examine d’un air étrange la fée et les Grands-Prêtres en leur demandant ce qu’il fait là. Un religieux lui dit d’une voix paternelle qu’il a eu un grave accident qui lui a fait perdre la mémoire. Il lui demande s’il se rappelle son nom? Le bambin cherche un nom dans cette mémoire qui lui fait défaut. Un autre religieux lui fait comprendre qu’il va lui falloir un certain temps encore pour se souvenir de tout. En attendant, il lui dit qu’il porte le joli nom de Mercéür. L’enfant répète celui-ci plusieurs fois et sourit comme s’il était convaincu de s’en souvenir à présent. Les Grands-Prêtres réalisent que la drogue a vraiment effacé la mémoire de ce garçon lorsque celui-ci demande pourquoi la jolie dame pleure ? Marianne préfère s’en retourner. Elle ne veut pas voir son petit Perlin s’éloigner en tenant joyeusement la main de ses deux accompagnateurs qui sont si drôles que Mercéür ne réalise même pas qu’il vient de débuter sa vie dans la communauté arkarienne. C’est Primus Tasal qui a choisi son nom. Mercéür est l’anagramme de « Mercure », messager de Jupiter. Ce singe voit très loin dans le temps et considère que Mercéür sera justement ce genre de messager ou missionnaire sur Terre. De par son origine du monde intemporelle autant que temporelle fait également penser à un messager qui possède ce pouvoir de vivre dans les deux dimensions. Primus a suggéré ce nom à Manuel qui l’écrit aussitôt dans son livre.

Comme il faut s’y attendre, le Maître du temps revint en compagnie de ses calamités appelées aussi, sept fléaux vraiment barbares. Ces monstres se tiennent de chaque côté de leur Maître, prêts à mettre à feu et à sac la jolie forêt enchantée. Entouré de ses protecteurs, de véritables mercenaires aux allures macabres et abominables, Chronos s’imagine pouvoir exiger la destruction immédiate de la Vie sur Arkara. À son tour, Manuel le somme de calmer ses humeurs avant que les cieux rougissent jusqu’aux confins des mondes où même Chaos craint le verbe enflammé d’Absou. Le jeune Maître du destin en a vraiment ras-le-bol de ce jaloux souverain borné qui lui fait penser à une chenille qui dévore une feuille sur laquelle repose pourtant son existence. Le souverain du temps préfère revenir à de meilleurs sentiments et se contente de demander si les quelques mots qui demeurent illisibles sur la page du livre sont les événements de la fin d’Arkara? Manuel opine d’un signe de tête affirmatif. Chronos désire malgré tout en avoir la preuve. Alors le jeune adolescent dessine un gros point final à la fin du texte et indique que celui-ci est un symbole universel pour dire que l’histoire temporelle de sa planète se termine là. Les traits du visage de Chronos se durcissent de nouveau lorsqu’il découvre que Manuel a recopié l’histoire d’Arkara sur une nouvelle page. Manuel lui demande en quoi cela peut le déranger puisqu’il a obtenu ce qu’il voulait en mettant un terme à la vie des Arkariens? Le Maître du temps se calme lorsqu’il apprend que cette page a été tournée accidentellement par Perlin. Il sait qu’il vient de se faire duper par un Immortel, alors il aura à se contenter de voir cette planète et ses habitants disparaître bientôt de son royaume. Ses mercenaires ne sont pas de cet avis. L’un d’eux se transforme en nuée de sauterelles affamées qui cherchent aussitôt à dévorer le livre magique. Un autre se métamorphose en une armée de pestiférés qui se ruent sur le jeune Maître dans le but de l’empêcher de protéger son livre fantastique. Une licorne ailée vient rapidement se poser devant Manuel et menace les assaillants de sa longue corne. Alors un cri terrible résonne, suivit d’un battement d’ailes qui suffit à faire plier sous le vent les arbres environnants. Le dragon créé par Manuel crache son feu sur les ennemis de son Maître. Ils fuient vers le seul endroit où ils peuvent encore échapper à ce monstre ailé. Primus Tasal, toujours en compagnie de Marianne regarde les mercenaires se rapprocher de lui et est projeté contre un arbre avec une telle force que le pauvre singe sent tous ses os se briser en même temps. Il s’évanouit de douleur sans réaliser que les sept calamités viennent de s’introduire dans sa bille magique et fuient ensuite vers un pays appelé : Égypte. Un jour, l’histoire terrienne rapportera malheureusement ce fait dans ses écrits en citant des fléaux s’attaquant à un pharaon.

[retour]